LA COURBE, OBJET DU DESIR.
Femme blonde aux seins nus (1878) Edouard Manet
« Les seins sont un chef-d'œuvre d'attirance: ces trois cercles concentriques de diamètre dégressif, de coloration progressive et de relief varié (le sein, l'aréole, le mamelon), quoi de plus subtilement élaboré en vue de retenir l'attention?
De plus, ils sont plaqués sur le haut du corps, en avant-scène. Quoi de plus spectaculaire? Par ailleurs, la permanence d'un sein plein et rond étant biologiquement inutile (les animaux femelles n'ont de mamelles qu'au cours de la lactation; en dehors de cette période, elles n'ont que de simples tétines), le sein féminin est donc bien un «appel d'offre ». Du reste, il se trahit ce sein, quand lors des ébats amoureux, il gonfle d'un quart, fait saillir son aréole et enfle son mamelon.
Décidément, la nature adore les cercles et les cibles. Regardez le dessin que trace le contour de l'abdomen et, à la suite, le galbe des hanches, puis la courbe des cuisses: c'est un cercle. Au centre, pointée par le triangle de la toison pubienne, la vulve, invisible. Il fallait bien que l'indique un véritable panneau de signalisation.
Les pupilles: encore une histoire de cercles. On savait que leur diamètre variait en fonction de la lumière ambiante, comme le diaphragme d'un appareil photographique. On sait maintenant que ce diamètre varie également en fonction du désir.
Montrons à une femme la photo d'un homme nu : ses pupilles se dilatent. il en est de même si une femme rencontre un homme qui lui plaît: ses pupilles s'ouvrent en mydriase. Cette mydriase, perçue dans l'inconscient de l'homme, le trouble. Les belles Romaines de l'antique Rome connaissaient ce secret de la nature et s'instillaient dans les yeux des gouttes de belladone pour accroître leur séduction.
De même que l'appétit se manifeste par des tiraillements d'estomac, le désir se signale par des sensations voluptueuses au niveau des organes sexuels, qui se gorgent de sang. Le désir vaginal, c'est cette intense impression de creux, un « puits de désir » doublé d'un besoin lancinant d'être rempli; le désir pénien, c'est cette sensation de tension extrême liée à un besoin de pénétrer.
Au début, cela est agréable, sauf à être affreusement culpabilisé. On peut même dire que le désir est une forme de plaisir. Mais si la réalisation tarde trop ou se révèle impossible, la tension monte et devient désagréable. »
Gérard Leleu, Le traité du désir, Flammarion, 1997