BOUDDHISME : NON-SOI
La difficulté de vivre de notre société vient principalement d'un paradoxe : nous sommes passés d'une société où l'appartenance au groupe était la règle à une société ou l'individu devient le centre de tout. Mais parallèlement la notion d'interdépendance (donc dépendance aux autres et aux groupes) est devenue évidente par la mondialisation et le développement des moyens de communication.
L'individu n'est plus enfermé dans un groupe (classe sociale, caste, profession) mais doit dépenser beaucoup d'énergie pour pouvoir accéder à des groupes (sélection) ou pour y rester (éviter d'être déclassé). En même temps, par cette interdépendance globale, il se retrouve à l'intersection obligée de nombreux ensembles et du coup subit des tas de contraintes différentes, voir paradoxales. Les grandes philosophies manichéennes (bien / mal) y ont, soit perdu de leur influence, car non adaptée à cette fluidité de statut, ou au contraire ont renforcé leurs dogmes, en devenant un semblant d'îlot traditionnel protégé mais lui aussi porteur de paradoxes, puisqu'il ne peut échapper à cette interdépendance.
Pour moi le bouddhisme (m')apporte des éléments sur lesquels je peux baser mon expérience de vie dans ce contexte. Ses principes sont basés sur une logique rigoureuse (que je ne développerai pas ici, car ce serait trop long) qui est en même temps conceptuelle et pragmatique, (m')apportant justement une profonde aide sur la capacité de vivre dans le paradoxe dont je parle ci-dessus.
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© Tsai Chih Chung
Un des principaux points du bouddhisme est en effet le "vide" ou la "vacuité". Ce terme a beaucoup prêté à confusion quand il est arrivé en Europe principalement par le retour des premiers missionnaires partis courageusement en Chine ou au Japon, et a fait du bouddhisme une "religion" nihiliste. Mais il faut le comprendre plus dans le sens du leitmotiv de l'Ecclesiaste : "Vanité des vanités, tout est vanité", tout est étymologiquement "vain", vide, sans réalité (l'hébreu parle de "hével" : la buée).
(dessin déjà paru sur ce blog)
On va parler dans le bouddhisme ainsi de "non-soi", là encore cette expression fut vue au début, en occident, comme une vision nihiliste de l'humain. Mais c'est en fait une conception assez révolutionnaire pour l'époque (et toujours) qui veut dire qu'aucune réalité ne renferme en elle-même une existence indépendante et complète. Tout est impermanent et interdépendant. Les choses se transformant tout le temps on ne peut jamais leur trouver une identité intrinsèque permanente.
Ainsi dans chaque objet le bouddhisme voit toutes les relations qui lui ont permis de venir sous cette forme jusqu'à nous et qui font que par la loi d'entropie déjà il change. C'est une vision holistique puisqu'en chaque situation, objet, être on voit la totalité des choses qui la composent et lui ont permis d'être, ici.
D'un autre côté, la possibilité de voir individuellement la réalité sous cette forme systémique permet de résoudre le paradoxe dont je parlais au début : nous sommes des individus ramenés à nous-mêmes (Le Bouddha disait "soyez des îles à vous-mêmes), ensembles. Nous sommes solitaires et solidaires à la fois.
En même temps puisque les choses ne reflètent pas la réalité, les concepts sont obligatoirement limités et limitants, le bouddhisme, et principalement le zen, nous oblige à avoir une vision, une vie pragmatique, non pas centrée sur des théories spéculatives mais sur l'expérience directe. La possibilité d'éprouver la réalité d'une manière immédiate non conceptuelle est offerte par la méditation en action : l'expérience ("Quand tu manges, mange ! Quand tu marches, marche !).
On cherche ainsi à être libre, ouvert dans l'instant, authentique (étymologiquement celui qui est responsable, celui qui fait autorité).