DIRE « JE » EST LE TRAVAIL D’UNE VIE ENTIERE
Les limites du consentement
« Je consens, donc je suis... » de Michela Marzano, Éditions PUF, 2006 ; 258 pages. 15 euros.
"Un désir consenti est-il toujours choisi ?
Un choix est-il toujours consenti ?
Le consentement est-il invariablement soumis à un désir ? Qui dit « je » quand il consent ?
Le consentement fait-il accéder l’individu à l’autonomie ? La juriste Michela Marzano pose au centre de sa problématique l’acte du sujet consentant et ses limites. Elle circonscrit son propos à la morale, à l’éthique médicale et à la sexualité. Qui n’a pas entendu : « c’est pour ton bien... » ? Alors que personne n’a le pouvoir d’intervenir sur les affaires d’autrui sauf à révéler de façon objective - vérifiable - que ses actes sont préjudiciables, sous peine de tomber dans une forme de paternalisme.
Qui est en mesure, dans les instances de l’État, de connaître ce qu’est un tort et d’en déterminer la gravité ? Comment sait-on que l’on consent et que cette action sera bonne pour soi, ou pour les autres ?
Les comportements à risques ne feraient l’objet d’aucune observation s’ils ne relevaient que d’une bien-pensance moraliste. C’est pourquoi le consentement ne gouverne pas une action immédiatement légitime.
En questionnant la médecine et la sexualité, l’essayiste s’intéresse aux étapes expérimentales et formatrices de l’être humain, des valeurs et des règles qui régissent des domaines fondateurs. Elle rappelle que « tout être humain a vocation à penser par soi-même » (Kant) et qu’« il n’y a pas de raison pour que toute existence humaine doive se construire sur un modèle unique ou un petit nombre de modèles seulement » (Stuart Mill).
Actuellement, des mouvements réclament le droit pour l’individu de se réapproprier sa mort. Que la vie soit mortelle fait partie de son essence et d’une indissociable ambivalence. Bien mourir, concevoir les conditions de sa mort sont des droits pour tout être humain quelles que soient sa condition sociale, ses convictions religieuses, chacun ayant droit à être reconnu comme sujet de sa mort. Derrière cette demande, comme dans l’euthanasie, il faut écouter une souffrance qui n’a pas les mots pour le dire. Par ailleurs, Françoise Dolto estimait que demander la mort est l’effet d’une communication manquée et déçue. Faut-il raisonnablement réclamer l’hospitalisation d’un suicidaire qui consent à mettre fin à ses jours ? D’un alcoolique qui, une fois dehors, reprendra le premier verre ?
Mais pourquoi ne pas considérer que les prostituées sont consentantes ? L’auteure interpelle directement Marcela Iacub, Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, qui estiment que ces femmes « ont choisi ce qu’elles considèrent comme un authentique métier », qu’elles sont libres de s’autodéterminer.
Un métier comme un autre ? Donc encadré par l’État et à faire promouvoir par l’ANPE ? L’auteure a rencontré des péripatéticiennes qui toutes s’insurgent contre la banalisation de la prostitution. Dans la vente et l’achat d’un acte sexuel, le corps consenti et consentant est absent.
Dès que l’on sacralise le consentement, tout devient légitime, même le meurtre, l’oppression ou les violences liées à des pratiques sadomasochistes. Depuis Platon, la philosophie a réfléchi sur le consentement. Mais qu’en est-il aujourd’hui de l’autonomie, du respect de soi, si personne n’en a ni souvenir, ni apprentissage ?
Dire « je » est le travail d’une vie entière et quand il y a un « je », il y a un désir qui l’a encensé."
Virginie Gatti - Article paru dans l'édition du 12 janvier 2007. - http://www.humanite.presse.fr/